Une carrière en jeu vidéo au Québec
Florence Tison
27 mai 2020
Carrière, Jeux vidéo
13 minutes à lire
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Le milieu du jeu vidéo a une bonne nouvelle pour vous : il a des emplois en masse, et on peut très bien en faire une deuxième (et même une troisième!) carrière.
En effet, dans ce monde créatif, tout ce que vos expériences de travail passées ont pu vous apprendre peut être utile, de la restauration au journalisme en passant par l’architecture. Et si en plus vous avez un diplôme spécialisé, bingo!
Source : Ubisoft.
Mais, au fait, comment le décrire, ce monde créatif des jeux vidéos?
Portrait du milieu du jeu vidéo au Québec
Mentionnons tout d’abord que c’est un milieu jeune, très jeune : l’industrie existe depuis 30 ans tout au plus dans la belle province, un chiffre qui s’approche de l’âge des travailleurs les plus âgés.
« Les vétérans du milieu ont fin trentaine, début quarantaine », souligne Simon Dor, codirecteur du département de recherche en création et nouveaux médias pour le baccalauréat en jeux vidéos à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue.
Simon Dor, codirecteur du département de recherche en création et nouveaux médias pour le baccalauréat en jeux vidéos à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue.
« J’ai 46 ans, et je suis un ancêtre! rigole Xavier Pétermann, producteur senior chez Ludia. Il y a quelques années, je travaillais chez EA, et mon boss était l’employé le plus âgé du building : 50 ans! »
Les entreprises en jeux vidéos du Québec sont, pour la plupart, assez jeunes, elles aussi.
Année de fondation des entreprises de créativité numérique au Québec
Source : Premier profil de l’industrie de la créativité numérique du Québec (2018).
Plus de 15 000 travailleurs évolueraient dans le milieu du jeu vidéo au Québec, ce qui représenterait 46 % de la main-d’oeuvre canadienne. La très grande majorité de ces professionnels sont des hommes.
Seuls 5 % à 10 % des travailleurs en production de jeux vidéos sont des femmes, ce que l’industrie s’efforce de changer : la « diversité est de plus en plus valorisée dans la création d’univers immersifs et intuitifs ainsi que dans la résolution de problèmes, » soutient TECHNOCompétences dans son Profil de la main-d’œuvre dans l’industrie du jeu électronique au Québec en 2016.
Source : Alliance Numérique.
Les studios de jeu vidéo au Québec
Source : Ubisoft
Les AAA
« Le AAA, c’est le rêve de beaucoup, » s’exclame Gabriel Girard, directeur du département des sciences pour le programme de sciences du multimédia et du jeu vidéo à l’Université de Sherbrooke.
Ces studios font des productions de grande envergure, généralement sur PC et console. Un seul grand projet peut accaparer 200 employés, quoique ces superproductions soient peu nombreuses au Québec.
Source: Profil de la main-d’œuvre dans l’industrie du jeu électronique au Québec en 2016, TECHNOCompétences.
Et il arrive aussi qu’un contrat de service ou une coproduction amène entre 50 et 120 employés à travailler sur une superproduction rattachée à un studio externe. Les superproductions mettent souvent en oeuvre plusieurs studios à la fois, dans plusieurs villes du monde.
Assassin’s Creed Unity d’Ubisoft, par exemple, a réuni 1000 employés de 10 studios répartis sur trois continents!
Gabriel Girard, directeur du département des sciences pour le programme de sciences du multimédia et du jeu vidéo à l’Université de Sherbrooke.
Les studios indépendants
La plupart des studios de jeu vidéo au Québec sont de petite taille, comme le démontre ce graphique tiré du Premier profil de l’industrie de la créativité numérique du Québec (2018).
Bon nombre d’entre eux sont indépendants (indie), et regroupés sous des coopératives telles que la Guilde des développeurs de jeux vidéo indépendants du Québec.
Voici le nombre approximatif de professionnels de chaque type que ces studios embauchent pour de petites et moyennes productions.
Source : Profil de la main-d’œuvre dans l’industrie du jeu électronique au Québec en 2016, TECHNOCompétences.
Porte d’entrée : diplômé ou testeur?
Il fut un temps où aucune formation spécialisée ne se concentrait sur les jeux vidéos. On accédait à un emploi grâce à de l'expérience en informatique ou en arts, ou encore en commençant comme testeur.
« Moi, j’ai eu la chance d’entrer dans le milieu à un moment où il n’y avait aucune formation et je n’avais aucune expérience spécifique en jeu vidéo, se rappelle le producteur senior Xavier Pétermann. Je me suis fait un nom, et maintenant les portes sont ouvertes. Je sais pas si j’aurais la même carrière aujourd'hui; ça passe beaucoup par des diplômes et des portfolios. »
Les écoles se sont mises au diapason de l’industrie pour offrir des formations orientées vers le jeu vidéo et le diplôme est un méchant gros plus à une candidature… mais ce n’est pas essentiel!
« Quelqu’un qui a une bonne passion peut rentrer testeur, et c’est toujours mieux avec une formation, » opine Vincent Ducharme, coordonnateur au soutien à l’enseignement et chargé de cours à l’Université de Sherbrooke.
Vincent Ducharme, coordonnateur au soutien à l’enseignement et chargé de cours à l’Université de Sherbrooke.
« Quelqu’un qui sort d’une école avec une spécialisation en jeu vidéo, comme à l’Université Sherbrooke, c’est plus intéressant, indique quant à lui Christophe Desplanches, directeur technique senior chez Ludia. Il part avec un certain nombre de mécanismes et de démos. Ce sont toujours des CV qui vont rester sur le dessus de la liste. »
Certaines entreprises en jeu vidéo vont même directement repêcher dans les collèges et universités. « Au niveau recrutement, on aime bien collaborer avec les écoles autour de nous, » souligne la recruteuse de Beenox Isabelle Lacasse.
Isabelle Lacasse, recruteuse chez Beenox.
La formation idéale pour entrer dans le milieu du jeu vidéo
Côté études en jeux vidéos au Québec, on a l'embarras du choix : attestations d’études collégiales (AEC), diplômes d’études collégiales (DEC), certificats universitaires, baccalauréats (bac) et même maîtrises et doctorats.
L’université occupe une grande place dans la formation des experts en jeu vidéo de Montréal.
Source : Le Grand Montréal : plaque tournante mondiale du jeu vidéo, Montréal International.
Les diplômes du collégial raccourcissent la durée de la scolarité et sont souvent très suffisants pour avoir une belle carrière lorsqu’on y ajoute l’expérience.
« Ceux qui font un DEC technique peuvent décrocher un stage dans de grandes compagnies de jeu, souligne le chargé de cours Vincent Ducharme. Au niveau universitaire, il y en a qui ne peuvent pas en décrocher! Ça dépend du background. »
« Tout ce qui est plus moteur de jeu, pour que le jeu puisse s’exécuter, ça prend au minimum un bac, » poursuit le chargé de cours.
L’importance de la formation continue
Vu la rapidité avec laquelle les technologies évoluent, les travailleurs en jeu vidéo n’auront pas le choix de pratiquer la formation continue pour rester à jour. « En théorie, il n’y a pas vraiment de limite à la formation, » souligne Gabriel Girard, de l’Université de Sherbrooke.
Regardez par exemple les deux graphiques suivants. Le premier représente les compétences techniques actuelles des experts en jeux vidéo à Montréal, et le second les compétences en émergence dans la dernière année. Seule la programmation orientée vers les objets se retrouve dans les deux tableaux!
Compétences techniques des professionnels du jeu vidéo à Montréal
Source : Le Grand Montréal : plaque tournante mondiale du jeu vidéo, Montréal International.
Source : Le Grand Montréal : plaque tournante mondiale du jeu vidéo, Montréal International.
Des profils variés, yé!
La formation scolaire en jeu vidéo est donc très bien vue, sans être tout à fait essentielle. Cependant, l'accumulation d’expérience et de culture générale rend une candidature encore plus intéressante.
« Il reste que pour moi, les gens que je trouve les plus intéressants sont des gens qui n’ont pas de formation uniquement, glisse le producteur senior Xavier Pétermann. Les game designers qui ont travaillé en restauration, c’est super intéressant : ils comprennent les clients. »
« Même la simple culture générale fait toute la différence quand vient le temps de collaborer à un jeu, poursuit Xavier Pétermann, et encore plus si les gens veulent progresser dans leur carrière et gagner en leadership. Ils ont besoin d’une vision 360. »
Le domaine d’études des travailleurs en jeu vidéo à Montréal est justement assez varié, si on en croit ce diagramme.
Source : Le Grand Montréal : plaque tournante mondiale du jeu vidéo, Montréal International.
« Le développement de serveur pour les banques ou les compagnies d’assurances, ce sont des technologies qui s’apparentent à celles qu’on peut retrouver dans tout ce qui est back end en jeu vidéo », illustre le directeur technique senior chez Ludia, Christophe Desplanches.
« On n’est pas fermés à prendre des personnes qui n’ont pas de formation en jeu vidéo, conclut le directeur technique. L'intérêt marqué pour le jeu vidéo reste le facteur le plus important dans la prise de décision. »
Xavier Pétermann, producteur senior chez Ludia.
Xavier Pétermann, producteur senior chez Ludia est d'accord là-dessus. Voici ce qu'il en dit :
« Il y a tellement de postes ouverts, et en même temps tellement de postulants, que dans l'industrie on va prendre des chances sur des nouveaux. [...] Mais il faut que la personne nous démontre un vrai potentiel : comment tu me prouves que l'investissement que je fais sur toi en t'ajoutant dans l’équipe va être intéressant pour moi. Diplôme, game jam… Si tu arrives en 3e place dans un game jam, ça me parle! Juste des gens qui bidouillent à la maison, il y a vraiment quelque chose d’intéressant là-dedans. Il y a encore de la place pour les self made persons, mais moins de place pour prendre des chances sur quelqu’un qui n’a pas démontré ses aptitudes.»
Nouveaux diplômés, visez les grands studios!
Selon TECHNOCompétences, les grands studios sont plus enclins que les petits à embaucher des professionnels tout frais diplômés. Les petits studios indépendants préfèrent généralement miser sur l'expérience, même si elle ne se résume qu’à une ou deux années sur le marché du travail.
Voici quelques raisons qui expliqueraient la préférence des petits studios pour les candidats plus expérimentés, selon TECHNOCompétences :
• Polyvalence et fortes capacités de travail interdisciplinaire ;
• Équipe possiblement ralentie par l’encadrement des employés qui ne sont pas encore autonomes ;
• Les petits studios comptant un nombre restreint d’employés, chaque membre de l’équipe représente un plus gros pourcentage de la force de frappe (tout en étant souvent le seul représentant de son métier sur le projet).
Nouveaux diplômés, soyez rassurés! On n’hésite pas à vous embaucher dans les professions en pénurie de main- d’oeuvre (artistes 3D, par exemple), et même chez les petites et moyennes entreprises.
Source : Profil de la main-d’œuvre dans l’industrie du jeu électronique au Québec en 2016, TECHNOCompétences.
« Pour un poste junior, c’est certain que quelqu’un qui s’est impliqué dans sa formation, ou en participant à des compétitions, c’est le genre de petit plus qu’on aime bien retrouver », ajoute la recruteuse de Beenox Isabelle Lacasse.
Monter en grade : l’exemple de Ludia
Les projets vraiment trippants, on n’y touche généralement pas en début de carrière… ni aux tâches vraiment passionnantes! Il faut faire ses preuves, c’est normal.
« Il faut apprendre à parfois mettre de côté sa créativité et travailler sur des projets pas toujours intéressants au début, » indique Simon Dor de l’UQAT.
Pensez aussi que si tous les créateurs de jeux vidéos ne travaillaient que sur des projets qui les font rêver, il n’y aurait pas de jeux vidéos pour enfants!
Christophe Desplanches, directeur technique senior chez Ludia
Le parcours de votre carrière... divisé en zones
• Zone 1
« Une carrière typique commence en zone 1, mais ça monte assez rapidement à la zone 2 si on a des aptitudes en programmation. »
• Zone 2
« La zone 2, c’est là où on va gagner ses galons et se préparer à devenir senior. On va commencer à toucher à un peu toutes les parties d’un jeu, coder le comportement des personnages et après développer un peu plus les serveurs. On commence à toucher à tout. »
• Zone 3
« Après un certain nombre d’années, vous passez au niveau 3 pour devenir senior et coacher les nouveaux, challenger les designs techniques et les choix technologiques. On est vraiment autonome. »
• Zone 4 et 5
Le professionnel acquiert « tranquillement une plus grande expertise vers les niveaux 4 et 5. »
Selon TECHNOCompétences, les employés polyvalents des zones 4 et 5 ont le profil idéal recherché par les petites et moyennes productions : le profil en forme de T.
« Ces employés ont une connaissance transversale de leur métier, démontrant une forte polyvalence dans à peu près tous les aspects du domaine... Mais ils ont aussi approfondi une facette spécifique de manière particulière, facette qu’on cherchera à faire coïncider avec les buts précis du projet ».
Source : Profil de la main-d’œuvre dans l’industrie du jeu électronique au Québec en 2016, TECHNOCompétences.
Les métiers du jeu vidéo : 4 spécialisations
Voici une liste de quelques métiers qui pourraient vous intéresser en jeu vidéo.
1. Architecture du jeu
• Designer de jeu (game designer)
• Designer de niveau (level designer)
2. Artistes
• Artiste technique
• Artiste conceptuel
• Artiste de l’environnement
• Artiste des personnages
• Artistes 2D et 3D
• Artiste FX
• Artiste 3D animateur
3. Programmeurs
Moteur
• Programmeur engin ou moteur
• Programmeur outil
• Programmeur 3D
Mécanique
• Programmeur game play
• Responsable technique
• Programmeurs
• Game play programmers
• Programmeurs IA
• Programmeur 3D
4. Autres
• Motion-capture
• Character riggers
Source : Ubisoft.
Fin de carrière : expert ou gestionnaire
Le milieu du jeu vidéo étant encore jeune, très, très peu de professionnels ont pris leur retraite au Québec. On ne sait pas encore précisément à quoi peut ressembler la fin d’une carrière dans le domaine, mais on en a une idée.
« Ce que j’observe actuellement, c’est qu’on retrouve souvent ces personnes dans des postes comme le mien : directeur technique, vice-président technologique, ou plus une évolution comme de devenir producteur d’un jeu ou de plusieurs jeux, énumère Christophe Desplanches.
Source : Ubisoft.
« Les plus anciens que je vois sont soit au niveau de la production, soit du management, poursuit le directeur technique senior. Ce sont souvent des postes de direction qui impliquent une prise de décision sur la vision à long terme, que ce soit du point de vue design, tech ou art. »
• Producteur exécutif
• Réalisateur
• Directeur créatif
• Chef d’équipe (lead)
• CEO
Sinon, « il y a des gens qui se spécialisent dans une technique particulière très, très pointue, » indique Christophe Desplanches. Ces experts deviennent de grands spécialistes, LA référence dans leur domaine.
Conditions de travail
« Les conditions de travail sont intéressantes, dynamiques, avec beaucoup de flaflas autour! » souligne le chargé de cours Vincent Ducharme.
Il n’est pas rare de tomber sur des studios comportant un barista permanent, des tables de billard et de ping-pong, et des terrasses ensoleillées. Les bureaux d’Ubisoft à Montréal, par exemple, comportent un bar et plusieurs espaces de travail ludiques et variés.
Source : Ubisoft.
Mais, tout n’est pas rose dans l’industrie des jeux vidéos. Les échéances de sortie des jeux amènent leur lot d’heures supplémentaires : un rythme difficile à tenir à long terme, et assez incompatible avec la conciliation travail-famille.
« Il y a beaucoup de gens qui quittent le milieu quand ils veulent avoir des enfants parce que c’est plus difficile de soutenir de gros projets », indique Simon Dor.
Heureusement, tous les spécialistes, interviewés par Espresso-Jobs, affirment que la situation tend à changer.
Les salaires dans le jeu vidéo
Le salaire moyen des professionnels en production est de 64 000 $ par an. Voici les salaires que ça donne en moyenne par profession générale :
• Artiste : 38 000 $ à 75 000 $
• Animateur : 39 000 $ à 78 000 $
• Concepteur de jeu : 38 000 $ à 86 000 $
• Concepteur de niveaux : 39 000 à 79 000 $
• Testeur : 26 000 $ à 39 000 $
• Programmeur : 46 000 $ à 96 000 $
• Développeur de communautés : 40 000 $ à 48 000 $
Les salaires ont tendance à varier selon la spécialisation du travailleur en jeu vidéo. Voici par exemple la variation du traitement d’un programmeur.
• Programmeur 3D : +7,5 %
• Programmeur IA : + 8,3 %
• Programmeur Gameplay : + 7,1 %
Exemples de salaires à Montréal, basés sur une expérience de cinq ans en mars 2019
Source : Le Grand Montréal : plaque tournante mondiale du jeu vidéo, Montréal International.
Avantages sociaux
• 63 % des employeurs accordent des jours de maladie selon les besoins
• 70 % des employeurs reconnaissent les années de service et l’expérience antérieure lors de l’attribution des jours de vacances
• 67 % des employeurs offrent un régime d’assurance collective
• 33 % des employeurs offrent un régime de retraite
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