J’ai un dossier
Kévyn Gagné
10 janvier 2018
Carrière
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683
Qu’on se le dise: la discrimination à l’emploi est bien présente lorsque vous avez été reconnu coupable d’un délit, nous dit notre chroniqueur.
Si je vous dis dossier, à quoi pensez-vous?
À votre dossier médical en ligne ? À votre dossier de chaise ergonomique de 1 200$ ? Au gros dossier sur lequel vous travaillez présentement et qui pourrait vous rapporter beaucoup de Money-Money ? Ou encore, au dernier dossier de CNESST que vous avez contesté ?
Que dire du dossier criminel?
Vous l’aviez oublié celui-là, ou plutôt vous ne vouliez pas y penser pour ne pas avoir à vous prononcer ou prendre position…
C’est comme de la nourriture pognée dans les dents lors d’une première date; on n’en veut pas! Et si nous en avons de pogné, nous voulons le savoir puisque dans notre position, nous ne le voyons pas.
Nous sommes tous beaux, nous sommes tous bons et donc généreux, et tous, ne voulons pas embaucher quelqu’un avec un dossier criminel. À moins, bien évidemment, d’être un propriétaire ou directeur véreux et malicieux.
Désolé, mais voici la partie ennuyante du texte, soit celle qui concerne la loi, au sujet du casse-tête des antécédents criminels et de la « non-discrimination » à l’embauche dans le merveilleux monde du travail.
Ainsi, et selon le Chapitre C-12 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, « nul ne peut refuser d'embaucher une personne du seul fait qu'elle a été déclarée coupable d'une infraction pénale ou criminelle, si cette infraction n'a aucun lien avec l'emploi ou si cette personne en a obtenu le pardon ».
On ne se fera pas de cachette, c’est une patate chaude pour les employeurs, pour les recruteurs, et pour les agences de placement. Et c’est une situation crissement difficile pour ces candidats qui ont ce boulet qui les suive.
Avoir un dossier, ce n’est pas seulement être bloqué à la frontière canado-américaine.
Avoir un dossier criminel, ça veut dire, ne pas être capable de se trouver un emploi.
Certains d’entre vous diront que c’est de leur faute; je vous entends. Mais laissez-moi d’abord vous résumer l’histoire, en filigrane, et le parcours de Charles et de Maxime.
Charles a été impliqué dans plus de 10 altercations physiques, pour ne pas dire de bonnes bagarres; conduit en état d’ébriété plus souvent que jamais; volé; falsifié des documents; fait toute sorte de chose pas très catholique, sans toutefois ne jamais se faire épingler. Les années passent, Charles à toujours l’air d’un ange, mais sous ce masque, se cache quelqu’un de croche et de peu fiable.
En revanche, Maxime a toujours été sérieux, malgré certaines erreurs de jeunesse bien évidemment. Plus discipliné que la moyenne, son profil bas ne lui a jamais causé d’ennui, et son indépendance peut expliquer qu’il se soit marié jeune. Les années ont passé, l’intimité des sorties de couple est disparue au profit de la naissance des enfants.
Finalement, un soir, Maxime et sa conjointe peuvent se permettre une sortie de couple. Quinze minutes après être arrivé au petit pub du coin, Maxime va à la salle de bain. À sa surprise, en revenant à sa table, il aperçoit un alcoolo insistant avec le postérieur de sa conjointe. Il s’interpose par la parole; l’autre réplique par un crochet de la main droite; Maxime l’esquive et par réflexe, décoche un Uppercut. L’alcoolo tombe et ne se relève pas, la cloche sonne, et malgré la tétanisation de son état mental, Maxime entend les sirènes de police retentir.
Maxime a un dossier criminel.
Quinze minutes qui changent une vie sur le coup. Quinze minutes auront suffi pour fermer les portes menant au merveilleux monde du travail.
Je résume, je saute des étapes pour faire ça court, mais c’est ça!
Les semaines disparaissent du calendrier depuis cet évènement, et les chemins de Maxime et Charles se croisent, puisqu’ils postulent sur le même emploi. Maxime a plus d’expérience et il a le profil parfait pour le poste présent, et même le profil pour grandir dans l’entreprise.
Le gestionnaire rencontre les deux en entrevues, et quoique Charles s’en soit bien tiré, le gestionnaire s’aperçoit que Maxime serait le meilleur candidat. Procédure RH oblige, le gestionnaire fait la demande pour la prise de références et pour accéder aux antécédents criminels.
Vous connaissez la suite…
Le gestionnaire embauche Charles. Le gestionnaire inventera une excuse bidon pour expliquer le refus de la candidature de Maxime. Ça, c’est en prenant pour acquis que le gestionnaire daignera recontacter Maxime. Si le processus se fait via une agence… quel soulagement pour le gestionnaire, de ne pas avoir à franchir cette étape.
Laissons cet exemple véridique de côté et tentons de comprendre –et non d’expliquer- pourquoi nous refusons -généralement- d’embaucher des candidats avec des dossiers criminels.
Peut-être voulons-nous éviter d’éventuelles situations problématiques et délicates; peut-être avons-nous peur de ce qu’il pourrait hypothétiquement arriver; peut-être, en tant que gestionnaire, nous ne voulons pas devoir faire de la discipline et traiter des dossiers litigieux; peut-être qu’il est plus facile et plus simple d’embaucher du monde sans histoire (latente ou manifeste); peut-être, peut-être, peut-être…
Ce qui est drôle, pour ne pas dire absurde, c’est que des gestionnaires, comme celui ci-haut mentionné, ont été contraints, tout au long de leur parcours professionnel, de faire de la discipline; de donner des mesures disciplinaires; de participer à des enquêtes en matière de harcèlement psychologique, de harcèlement sexuel, de violence physique. Et ce même gestionnaire a aussi été contraint à procéder à des congédiements pour vol de temps, pour falsification de documents, et pour délit d’initié.
Ce qui est drôle, c’est que tous ces employés avaient des dossiers vierges. Pas de crime enregistré, ce qui ne veut pas dire, pas de crime perpétré. Ce qui est triste, c’est que bon nombre de ces employés ont été choisis et préférés, lors du processus d’embauche
discriminatoire, à certains candidats qui avaient un dossier criminel. Et eux saisissent bien la valeur d’un emploi, la difficulté de s’en trouver un et la richesse de pouvoir le conserver.
Même la demande de pardon, qui absout et efface « supposément » les antécédents, n’est que de la poudre aux yeux pour ces gestionnaires qui préfèrent quand même garder les yeux fermés. Et ces mêmes gestionnaires vous diront qu’ils prennent le temps de vérifier l'ensemble des circonstances entourant le dossier criminel d'un candidat avant de prendre une décision juste, équitable, et non-discriminatoire.
FOUTAISE!
Il y a des exceptions, je le sais, mais venez me dire que j’ai tort.
Kevyn Gagné est professionnel et vulgarisateur RH au service des employés et des employeurs. Le comportement humain, dans le monde du travail, est au cœur de ses interventions. Parfois drôle, parfois cru, mais toujours dans le respect de la personne, ses propos ne laissent pas indifférents. Il vous fera voir les RH autrement.
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Publié il y a 18 jours
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